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Recherche, première partie

Le syndrome X fragile : odyssée de la recherche en neuroscience

La recherche sur le syndrome X fragile a fait des bonds inespérés et spectaculaires depuis la découverte du gène FMR1 (Fragile X Mental Retardation 1). En 1994, des équipes américaines et européennes se lançaient à la découverte de ce gène inconnu. Une émulation internationale qui allait permettre d’identifier le gène responsable de la première cause héréditaire de déficience intellectuelle, deuxième cause de déficience après le syndrome de Down (Trisomie 21). Deux ans plus tard, la protéine – non exprimée par ce gène désactivé (FMR1) – allait être aussi nommée: FMRP, pour Fragile X Mental Retardation Protein.

C’était l’époque où le consensus scientifique ne misait pas gros sur l’espoir de traiter cette forme de déficience intellectuelle responsable de 1 à 2% des cas d’autisme sur le spectre.

C’était immuable, c’était hier

Aujourd’hui, recenser le nombre de compagnies pharmaceutiques, de laboratoires de recherche universitaire qui s’investissent dans l’XF nécessiterait un long travail d’inventaire. De l’Inde, en passant par l’Europe, l’Amérique latine et la clinique de référence du CHUS de Sherbrooke au Québec, des molécules à visées curatives sont en cours de tests cliniques chez des cohortes de patients XF. Dans le cas de l’étude Lovamix, dirigée par l’équipe du Dr François Corbin, ce n’est pas une mais deux molécules combinées qui sont en cours d’étude. De plus, les résultats de ces tests sont suivis et évalués par imagerie cérébrale.

Ces progrès ne se sont pas produits sans une volonté scientifique à toute épreuve et la détermination inébranlable des familles. Pendant toutes ces années, la recherche a sinué à travers de nombreux embâcles. Il a fallu convaincre les pharmaceutiques d’investir dans une maladie rare. Puis, il a fallu convaincre les familles de participer à ces tests cliniques. Avec tous les défis que pose parfois le simple fait d’aller au restaurant voire de sortir de la maison avec un enfant XF, ce n’était pas gagné d’avance.

Il a fallu ensuite penser ces tests cliniques, choisir des molécules qui avaient fait leur preuve ‘curative’ chez les modèles animaux comme la mouche drosophile ou la souris. Des modèles animaux valables pour l’étude de molécules mais encore éloignés de l’homme. Vinrent donc les tests avec l’antagoniste mGlur5 et l’agoniste arbaclofen, des freins à la surstimulation de certains circuits neuronaux responsables parmi d’autres de la déficience intellectuelle associée au SXF.

Constat d’échec

Le premier test fut abandonné faute de résultats significatifs. Le second, pourtant prometteur fut stoppé et la molécule expérimentale retirée aux familles par manque de fonds.

En 2006, après des centaines de millions de dollars dédiés à ces tests, des années de recherches suspendues, une communauté scientifique dubitative, des familles ébranlées, vint le temps de la remise en question:

  • Était-il plus difficile que prévu de passer du modèle animal à l’humain?
  • Les tests cliniques étaient-ils trop courts?
  • Il y avait-il un manque de patients d’âge pédiatrique à l’étude pour espérer un effet synaptique plus rapide?
  • L’effet placebo avait-il été sous-estimé chez certains patients?
  • Les questionnaires aux familles étaient-ils trop subjectifs comme méthodes d’évaluation des résultats?
  • Le choix des molécules était-il le bon? Leur dosage était-il adéquat, trop faible, trop élevé?
  • Le profilage des patients avait-il été pris en compte en fonction de ces molécules?
  • Les molécules à visée curative venaient-elles en conflit avec les molécules traitant les symptômes du XF?
  • Fallait-il continuer à investir effort et argent dans des molécules expérimentales, brevetées, non-commercialisées?

La liste s’allongea… Les doutes se multiplièrent à savoir si les pharmaceutiques et les laboratoires de recherche allaient délaisser cette condition génétique et monogénique d’autisme et de déficience intellectuelle, une maladie rare en plus.

FRAXA Research Foundation : ‘drug-repurposing’

La première fondation de recherche américaine, FRAXA Research Foundation, basée près de Boston au Massachussetts avait une autre idée en tête : revenir aux bases et repenser la conception des tests cliniques et le choix des molécules. Après quelques mois de passage à vide, une nouvelle stratégie s’élabora rapidement. Le ‘drug-repurposing’ (recyclage de molécules commercialisées, souvent libres de brevets) fut mis de l’avant. Déjà, des molécules contre l’acné, comme la minocycline, avait été repérées. En donnant ce médicament contre l’acné chez certains adolescents XF, une amélioration notable du comportement et des capacités cognitives avait-été remarquée, par hasard.

Baisser les coûts des tests cliniques, faciliter et accélérer de potentielles molécules à visée curative auprès de la FDA (Food and Drug Administration) voilà deux autres axes qui furent priorisés par cette approche.

Avec ses modèles de souris modifiées pour devenir X fragile, des centaines de molécules furent passées aux tamis. Toute molécule présentant un potentiel curatif fut retenue. Des molécules pour diverses indications, des molécules disponibles en pharmacie présentant un profil sécuritaire connu, parfois depuis les années 1950 comme le Metformin, un traitement du diabète.

Aujourd’hui, plusieurs molécules ont été identifiées. Une fois testées sur la souris génétiquement modifiée pour mimer le syndrome, ces molécules ‘curatives’ s’ajoutent maintenant à une liste d’avenues thérapeutiques.

Qu’est-ce donc l’X fragile?

D’où vient le terme fragile? Chez les patients X fragiles, le chromosome X présente deux extrémités inférieures qui semblent se détacher, comme si les pattes du X allaient tomber. Voilà pour le fragile. Le X, lui, signifie que la condition s’exprime via le chromosome X. Par conséquence, les garçons sont généralement plus atteints que les filles qui, elles, comptent deux X, le premier compensant pour la fragilité du second. En somme, même si les femmes sont moins atteintes que les hommes, l’X fragile se présente comme un spectre.

Un spectre dans le spectre?

Le syndrome est d’abord et avant tout une question de démographie : 1 homme sur 4000 en est atteint, 1 femme sur 6000 : c’est génétique. Une femme sur 150 est porteuse. C’est héréditaire. Puisque c’est un spectre, l’on y trouve de tout et son contraire. Même si, de manière générale, les femmes mutées sont moins atteintes, certaines femmes présentent le même profil de déficience intellectuelle que les hommes. Dans ce cas de figure, le premier X n’arrive pas à compenser pour le X fragile. Le syndrome X fragile dans sa forme pleinement mutée peut être divisé en trois grandes catégories :

  1. Une première composée d’individus avec une déficience intellectuelle dite modérée
  2. Une seconde incluant des individus avec déficience intellectuelle accompagnée de caractéristiques autistiques, comme Arthur Bruneau, notre fils, d’où le nom de cette fondation
  3. La dernière, comportant des patients présentant un autisme dit profond doublé d’une déficience intellectuelle sévère.

Enfin, une petite population dite mosaïque exprime en partie la protéine FMRP. Ces personnes de sexe masculin ont une déficience intellectuelle qui peut se présenter comme une variation de la normale. Leur progression et leur insertion académique et sociale en est facilitée bien qu’elle s’accompagne souvent d’une éducation spécialisée et de services adaptées.

Une condition simple en théorie

La grande force de la recherche sur le syndrome X fragile tient du fait que l’on sait exactement ce qu’il en est : 1 gène inactif, le gène FRM1 = 1 protéine non exprimée, la protéine FMRP. Voilà pourquoi le syndrome est si important pour la recherche en déficience intellectuelle et en autisme. Pas de mutation spontanée, pas de mutation(s) inconnue(s). Le lien de causalité est clair : il est génétique et héréditaire. Voilà donc une cause monogénique qui explique la prépondérance de cette condition pourtant rare dans la recherche actuelle en neuroscience.

À suivre…

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